Le monde post-covid : Vers un élargissement des politiques D&I à la QVT ?
par Shuyi Liu, chargée de mission, AFMD
Depuis plus d’un an, une crise sanitaire et économique bouleverse notre société et transforme le monde du travail. Afin d’évaluer l’impact de cette crise sur les politiques diversité et inclusion (D&I), l’AFMD a conduit, en partenariat avec Mercer, une enquête quantitative et qualitative sur « les politiques diversité et inclusion en temps de Covid-19 ». Entre octobre 2020 et février 2021, nous avons recueilli les réponses de 116 responsables diversité d’organisations privées et publiques à un questionnaire en ligne, puis nous avons approfondi les réponses de 51 d’entre elles et eux au cours d’entretiens semi-directifs.
Télétravail et risques psycho-sociaux
Sans surprise, notre enquête met au jour le bouleversement des modes de travail du fait de la crise sanitaire. Elle permet concomitamment d’observer une montée en puissance des enjeux liés à la qualité de vie au travail (QVT) en entreprise.
Ainsi, alors que 96% des répondant·es au questionnaire indiquent que leur entreprise a, dès le début de la crise, imposé le télétravail à leurs employé·es, 84% remarquent que la santé physique et mentale des salarié·es est la thématique D&I qui a pris le plus d’ampleur durant la crise. Cela fait écho à d’autres travaux sur ce sujet. Selon l’enquête « COronavirus et CONfinement : Enquête Longitudinale » (COCONEL), 38% de la population française déclarent se sentir isolés durant le premier confinement, un taux qui correspond à celui de la population présentant des signes de détresse psychologique mi-avril 2020. Un an après le début de la crise, le Baromètre annuel Télétravail 2021 de Malakoff Humanis montre que 26% des salarié·es interrogé·es estiment que le télétravail a eu un impact sur leur santé psychologique (contre 12 % en 2019). Certain·es responsables diversité interrogé·es déclarent avoir diffusé des enquêtes internes relatives à la santé mentale des collaborateurs et des collaboratrices durant l’année 2020. Ces enquêtes ont permis d’évaluer les risques internes au moment de la crise, mais aussi de « se préparer pour repartir » en permettant l’identification d’axes d’amélioration en matière de prévention des risques psycho-sociaux (RPS).
Les dispositifs de prévention des RPS pendant la crise
En septembre 2020, 59% des salarié·es enquêté·es dans le cadre de l’étude sur les vulnérabilités conduite par le groupe Malakoff Humanis souhaitent que leur entreprise mette en place des dispositifs de préventions des risques psycho-sociaux (RPS). Parmi les répondant·es à notre enquête, certain·es précisent que leur organisation était déjà dotée de dispositifs en la matière avant la crise sanitaire : 37% communiquaient sur ce sujet, 50% disposaient de programmes d’aide aux salarié·es concerné·es, 31% proposaient des formations sur ces enjeux. Elles et ils sont toutefois nombreux à expliquer avoir mis en place de tels dispositifs en réponse aux effets de la crise sanitaire sur les risques psycho-sociaux (RPS) : cellule d’écoute psychologique, « numéro vert » ou « hotline », etc. Une responsable diversité interrogée raconte ainsi que le numéro vert de son organisation recevait plus de 300 appels par jour durant le premier confinement. Elle s’est elle-même rendue disponible pour répondre aux appels. Pour un DRH interrogé, parce que « c’est quelque chose d’invisible, [qu’]on ne sent pas », les managers doivent impérativement être formé·es aux risques psycho-sociaux. Selon lui, les réseaux de « secouristes » en santé mentale, répandus au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, serait un véritable pilier pour soutenir les collaborateurs et les collaboratrices.
L'articulation Diversité/QVT
Si l’articulation entre la politique D&I et la qualité de vie au travail (QVT) est une évidence dans certaines organisations (la fonction de sept répondant·es au questionnaire contient « QVT »), elles sont le plus souvent traitées indépendamment.
Lors des entretiens, sept personnes expliquent travailler en étroite collaboration avec la médecine du travail et le service social de leur organisation, ce qui leur a permis d’avoir une visibilité sur la difficulté des situations vécues par certain·es salarié·es. Les médecins et les psychologues ont joué un rôle de lanceur d’alerte auprès des responsables diversité qui ont, ainsi, pu plus facilement identifier les populations vulnérables au sein du collectif de travail : des personnes en situation de handicap, des parents, des femmes, des salarié·es qui vivent seul·es ou qui ont des situations personnelles difficiles (divorce, décès d’un·e proche, etc.). A contrario, les entretiens montrent que les responsables diversité qui ne travaillent pas en lien avec ces acteurs de santé ou sociaux ont une vision moins concrète du vécu de ces collaborateurs et collaboratrices vulnérables. A titre personnel, un responsable diversité souligne l’ampleur de sa prise de conscience des inégalités sociales du fait de la pandémie, accompagnée d’un fort sentiment d’impuissance pour y remédier.
Inclure la QVT dans la D&I : le monde post-Covid?
La crise sanitaire a permis de repenser les enjeux des politiques D&I, pour parfois y inclure la QVT et la santé. La généralisation du télétravail a exacerbé les vulnérabilités psycho-sociales de certain·es salarié·es, entraînant une prise de conscience des directions d’organisation de l’importance des enjeux de qualité de vie au travail. Comme le confirme une enquêtée, « avoir une équipe QVT nous a ouvert les chakras sur la capacité d’avoir plus de synergie. […] Aujourd’hui on cherche à mieux vivre et travailler ensemble. Cela a plus de sens pour nous, on est beaucoup plus audible auprès des salariés. »