Gestion des controverses et des conflits en D&I : retour sur une journée d'étude

Le 9 décembre 2024, se tenait au Ministère de l’économie et des finances à Bercy, Paris : la Journée d’étude Internationale "Gestion des controverses et des conflits en Diversité & Inclusion au prisme de la psychologie sociale" co-organisée par l'AFMD et l'ADRIPS : l'Association pour la Diffusion de la Recherche Internationale en Psychologie Sociale. Le but étant de créer des ponts entre le monde de la recherche et les professionnel-es, cet événement a rassemblé près de 170 experts, professionnels, chercheurs et acteurs engagé-es pour des échanges riches. Des échanges essentiels pour mieux saisir les enjeux derrière les notions de conflits et de controverses dans le champ de la D&I.
Retour sur une journée riche en enseignements :
Les conflits, une étape inévitable de la D&I
Comme l’a rappelé Markus Brauer, professeur en psychologie sociale à l’université du Wisconsin-Madison (États-Unis), l’objectif des politiques D&I est de "faire changer les comportements des gens, de les pousser à agir différemment". C’est une réalité bien connue des responsables D&I, mais qui peut s’avérer complexe et être source de résistances, de réactions négatives, voire de conflits au sein des organisations. Les professionnel-es du domaine ont identifié plusieurs raisons expliquant ces oppositions :
De manière générale
- L’être humain est naturellement réticent au changement,
- Les thématiques de diversité et de discrimination sont particulièrement sensibles, car elles touchent aux normes, aux principes et l’identité même des individus. Certains sujets sont si fondamentaux qu’ils semblent non-négociables, comme l’indique Dimitri Vasiljevic, professeur associé à la NEOMA Business School (Paris).
Du côté des groupes dits majoritaires, jouissant du statut de “dominants” (ou sur-représentés) :
- Ils peuvent ressentir une menace réelle, la peur de perdre leurs privilèges,
- Certain-es perçoivent les politiques D&I comme une situation à somme nulle : “Si le groupe minoritaire gagne 1€, alors c’est que je perds 1€”,
- Certains individus peuvent aussi voir une forme de discrimination positive dans ce qui n’est, en réalité, qu’un processus de régulation et de compensation.
Du côté des groupes dits minoritaires, au statut de “dominés” (ou sous-représentés) :
- Les politiques dont elles et ils sont les destinataires peuvent faire émerger un sentiment d’incompétence : “J’ai été pris-e parce que je suis de la “bonne” couleur, orientation sexuelle…”
- S’ajoute à cela un sentiment d’incertitude : il arrive que ce public craigne de perdre son emploi si on met un terme à la politique D&I.
Pourquoi rien ne change : attention au piège de la désirabilité sociale
Fabrizio Butera, professeur ordinaire à l’Institut de psychologie de l’université de Lausanne (Suisse), alerte sur l’illusion du consensus : un accord apparent peut cacher un manque de volonté de changement réel. Le professeur insiste sur le fait que, lorsqu’un désaccord est exprimé, il ouvre la voie au dialogue, à l’influence mutuelle et, ainsi, à la transformation des comportements. L’enjeu est de passer du discours aux actes. Il existe en effet un écart entre ce qui est dit, sous la pression des normes sociales, et ce qui est réellement mis en œuvre. C’est ce que l’on appelle biais de désirabilité sociale. Certains individus adoptent un discours inclusif sans pour autant concrétiser leur engagement, “tel un conducteur qui ralentirait à l’approche d’un radar, et accélérerait une fois l’avoir dépassé”. Il est donc essentiel de mettre en place des plans d’action, de les suivre et de les évaluer afin d’en capter les effets.
Comment accompagner le changement : l’importance de la considération des besoins de chacun-e
Pour transformer ces tensions en opportunités de changement, il est essentiel de comprendre les besoins des individus concernés. Les chercheurs et chercheuses en psychologie sociale sont très attaché-es au recueil des données directement auprès des populations concernées : qui de mieux que les collaboratrices et collaborateurs pour parler des défis de l’exercice de leur activité ?
En effet, comprendre le vécu et les motivations profondes des individus permet d’identifier les besoins mis à mal par les politiques D&I (ou leur absence), comme le souligne Stéphanie Demoulin, professeure à l’université de Louvain (Belgique). Cela permet aussi d’y répondre au mieux, en s’adaptant à l’audience cible :
Les groupes majoritaires…
- Ont besoin d’être rassurés quant à la menace qu’ils croient planer sur eux,
- Ont besoin d’être accompagnés dans la déconstruction de leurs idées reçues quant aux politiques D&I,
- Sont davantage enclins à soutenir des politiques dont l’efficacité a été prouvée (par des échelles scientifiques notamment).
Tandis que les groupes minoritaires…
- Ont eux aussi besoin d’être rassurés, mais davantage quant à leur niveau de compétence et de légitimité à occuper le poste qui leur a été confié.
Cela est d’autant plus important que l’on sait que la perception de stéréotype(s) pesant sur un groupe minoritaire influe sur ses performances (ex. les filles savent qu’elles sont perçues comme moins douées que les garçons en sciences, ce qui mène souvent à un (auto)sabotage).
Finalement, la gestion des controverses et des conflits en D&I ne consiste pas à éviter l’opposition, mais à la transformer en moteur de transformation. Accepter le débat, comprendre les résistances et y répondre par des actions concrètes est essentiel pour créer un environnement inclusif durable.