Imbriquer les politiques sociales et environnementales : le défi de 2025 ?

Publié le Lundi 26 mai 2025

Face à l’urgence écologique et à l’accroissement des inégalités sociales, un constat s’impose : la transition ne pourra être ni efficace, ni juste sans une approche conjointe des politiques environnementales et sociales. 


Comment se saisir de ces enjeux ? Le 23 mai 2025, à l’occasion de son Assemblée générale, l’AFMD a convié deux expertes pour répondre à cette question :

  • Florence Chappert, Responsable de la Mission Égalité Intégrée à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT)
  • Ingrid Kandelman, Pilote du parcours CEC Dialogue Social et environnemental pour la Convention des entreprises pour le climat (CEC)

De l’importance d’imbriquer les politiques sociales et environnementales

Le constat est sans appel : les conséquences du changement climatique s’ajoutent aux inégalités existantes (sociales, économiques, de genre…) et les amplifient. Florence Chappert a évoqué les résultats du rapport du CESE sur les inégalités de genre, la crise climatique et la transition écologique, soulignant que les femmes, tout en représentant près de la moitié de la population active, ne constituent que 27 % des métiers dits « verdissants », souvent plus masculinisés (construction, énergie, transport, agriculture...).

Mais au-delà du genre, c’est la précarité qui est au cœur du problème. Ingrid Kandelman a rappelé que ce sont les plus vulnérables qui subissent le plus durement les effets de la crise climatique, tout en étant les moins responsables : les travailleurs et travailleuses précaires, les enfants, les minorités… Ces inégalités se retrouvent aussi dans le monde du travail : les salarié·es qui sont exposé·es à la chaleur ou aux conditions de travail dégradées (BTP, agriculture...) sont souvent les moins représenté·es dans les processus décisionnels.
C’est pourquoi l’articulation entre dialogue social et transition écologique devient cruciale : penser les transformations environnementales sans associer les travailleuses et travailleurs revient à ignorer une partie essentielle du problème et des solutions.

 

Prise de parole

La notion de soin : pilier d’une transition juste

Un autre axe majeur de la discussion a porté sur la notion de care (le soin), comprise comme une manière de penser la transition écologique à partir de la prise en compte du vivant, humain et non humain.
« Prendre soin », c’est notamment prévenir les nouveaux risques professionnels induits par les transformations écologiques. Florence Chappert a rappelé que ces risques, loin d’être neutres, sont genrés. Des métiers comme la coiffure, l’esthétique ou les soins à la personne, majoritairement féminins, se voient attribuer de nouvelles tâches (tri, désinfection, ajustement aux normes « vertes ») souvent non reconnues ou intégrées dans les cadences de travail.
De plus, les réponses aux crises climatiques (canicules, inondations) ne sont pas toujours pensées pour les réalités du travail de terrain. Entre surcharge de travail, manque d’équipements adaptés, solutions inadéquates comme le télétravail ou le décalage horaire, les salarié·es font parfois face à une intensification non anticipée de leur charge de travail. 
La transition écologique, pour être inclusive, doit donc partir de ces vécus : intégrer les risques, adapter les protections, reconnaître les métiers du soin comme centraux, et ne pas oublier que prendre soin du climat, c’est aussi prendre soin de celles et ceux qui le subissent au quotidien.

Repenser les modèles de travail pour demain

Un message clé des échanges réside dans cette idée : la transition écologique ne sera pas simplement une adaptation technique, mais un changement profond de notre manière de travailler, produire et gouverner.
Les intervenantes ont souligné un écueil : alors que les entreprises produisent rapports RSE et stratégies durables, les transformations concrètes du travail réel tardent à se faire. Il ne s’agit pas seulement de transformer les métiers, mais de questionner l'organisation même du travail : sens, objectifs, cadence, gouvernance.

Ingrid Kandelman a notamment évoqué le cas emblématique du dieselgate, où les pressions organisationnelles ont conduit des ingénieurs à falsifier des données. Elle a rappelé que les tensions entre objectifs économiques, écologiques et humains ne peuvent être résolues sans espaces de discussion collective.

Prise de noteIl s’agit aussi de changer de paradigme. En mobilisant les travaux d’Alain Supiot et d’Olivier Hamant, la discussion propose une bascule vers un imaginaire du vivant : des organisations inspirées d’écosystèmes robustes et adaptables, où la diversité, la redondance (plutôt que l’hyper-optimisation), et la coopération deviennent les piliers. Ce changement implique aussi de déconstruire les rapports de domination (notamment de genre) et de redonner une place aux formes de travail invisibles ou non rémunérées, à l’image de l’écoféminisme.

 

Anticiper, inclure, transformer

La transition écologique ne pourra réussir sans anticipation, inclusion, et transformation en profondeur des organisations du travail. Les politiques environnementales et sociales doivent être pensées ensemble, avec une attention constante aux inégalités et aux conditions concrètes de travail.
Les échanges se sont conclus sur un message fort : le défi de 2025 n’est pas seulement de réduire les émissions, mais de bâtir une société capable de prendre soin de ses membres tout en respectant la planète. Cela passera par des modèles de travail robustes, justes, et profondément humains.