"Vous avez dit validisme ?"
Lorsque l'on évoque les discriminations envers les personnes handicapées, on pense souvent aux défis liés à la recherche d'emploi, à l'inaccessibilité des lieux publics et aux moqueries. Pourtant, le validisme ouvre la discussion sur d'autres aspects des préjugés et discriminations envers cette population.
Le validisme, qu’est-ce que c’est ?
Né dans les années 1970-1980 des disability studies, le validisme (ou capacitisme) est définit par Marina Carlos, de la façon suivante :
« Le validisme, de l’anglais « ableism », désigne l’oppression systémique des personnes handicapées, des préjugés, aux discriminations. C’est un terme utilisé depuis des années par des chercheurs, activistes et institutions telles que l’Organisation des Nations Unies et qui amène à voir le handicap comme « autre » et une condition à « dépasser ».
Par exemple, contrairement aux personnes valides, les personnes handicapées :
- Seraient à plaindre ;
- Seraient sujets de moqueries ;
- Ne peuvent accéder facilement à l’espace public ;
- Seraient perçues comme des êtres asexués et non-désirables
- Ne sont pas représentées dans les médias.
La norme étant la personne valide, la personne handicapée est alors caractérisée comme hors-norme, voir inférieure. De fait, ses besoins ne sont pas pris en compte, elle n’est pas traitée de la même manière et est marginalisée. »
Marina Carlos,Je vais m'arranger : comment le validisme impacte la vie des personnes handicapées, 2020
Le validisme intervient dans toutes les sphères : de la représentation dans les médias au monde de l’art, en passant par les relations intimes, l’espace public, les transports et, bien évidemment, dans le monde du travail.
Au travail, le validisme peut se manifester de multiples façons :
- En glorifiant les personnes handicapées : « Tu as du courage, je t’admire, moi je ne pourrais pas faire ce que tu fais… » ou en les victimisant « Le pauvre, il souffre d’un handicap », « Elle est clouée dans un fauteuil… »
- En remettant en cause les aménagements prévus, voire le statut d’une personne : « Tu es sûr qu’elle est handicapée ? Elle a l’air normale… »
- En excluant un·e collègue handicapé·e de projets ou de temps collectifs : en décidant à sa place de ce qu’il/elle peut faire ou non, en choisissant des lieux non accessibles, voire en ne l’invitant tout simplement pas.
Et si on ne changeait pas de regard sur le handicap ?
« Les personnes handicapées ne sont pas des leçons de vie » : dit comme ça, ça semble évident ! Pourtant, il est facile de tomber dans cette représentation en voulant agir pour l’inclusion des personnes handicapées, et ce de façon ni consciente ni malveillante.
Vous avez sûrement déjà vu des récits d’exploits sportifs de personnes qui dépassent les limites « malgré leur handicap », des phrases qui vous interpellent : « Le seul handicap dans la vie, c’est une mauvaise attitude. »
Ces façons de représenter le handicap comme quelque chose à dépasser veulent mettre en avant le courage, la résilience, la force des personnes concernées. Pour autant, ce discours peut avoir un effet culpabilisant : quid des personnes handicapées qui n’ont pas traversé la Manche à la nage, celles qui n’ont pas réalisé leur rêve, qui n’aspirent pas à « de grandes choses » ?
De la même façon, les sensibilisations au handicap cherchent souvent à « faire changer les regards » sur le handicap : au travers de témoignages inspirants, de rencontres, ou encore de mises en situation. Il ne s’agit pas ici de condamner ces formats. Pour autant, faire du changement de regard le levier principal de l’inclusion et de la prise en compte des handicaps place la responsabilité sur les individus, dont on attend que la prise de conscience règle tous les problèmes.
Cette dimension a été adressée par le collectif Les Dévalideuses, qui la résument de la façon suivante :
« Vous pouvez bien nous regarder sous tous les angles que vous voudrez, avec une loupe ou un objectif grand angle, notre handicap sera toujours le même, et nos difficultés seront toujours dues avant tout à la non-adéquation de nos environnements de vie. Quant à nous, on a déjà essayé de regarder une entrée d’immeuble non accessible d’un œil joyeux et positif, elle ne s’est pas magiquement transformée en rampe d’accès.
Dire qu’il faut « changer de regard sur le handicap », cela sous-entend qu’il n’y a pas de problème structurel, et que la majorité des problèmes viennent de l’absence de sensibilisation du public aux questions du handicap. »
Ainsi, posons la question : et si on ne changeait pas de regard sur le handicap ? Si on acceptait de le regarder dans les yeux, de se confronter à sa réalité, et d’agir pour lever les freins structurels à l’inclusion des personnes handicapées ?
Alors peut-être pourrions-nous nous concentrer à garantir l’accessibilité des locaux, des postes, des outils informatiques, un recrutement non-discriminant, la mise en place d’environnements de travail où les besoins de toutes et tous sont pris en compte.